Au coeur de la ruche
Visite de l’atelier de modèles agnès b. qui met au point les prototypes et les patrons des collections femme, homme et enfant. Bienvenue au coeur de la maison.
(par Camille Dorival)
Pénétrer dans l’atelier du 15 rue Dieu, à Paris, c’est un peu comme pénétrer dans une ruche. Tout le monde s’affaire. « Et la reine, celle pour qui on met tant d’énergie à travailler, c’est Agnès ! », précise Marie-Reine, l’une des deux chefs d’atelier.
Les salariés de l’atelier sont rassemblés sur un grand plateau qui forme une pièce unique. D’un côté de la salle, les machines à coudre et les mannequins en toile : c’est l’espace des modélistes manuelles et des couturières, qui interviennent dans l’étape de création des prototypes. De l’autre côté, des ordinateurs et des imprimantes géantes, permettant de tracer les patrons : c’est là que sont installés les modélistes CAO (pour « création assistée par ordinateur »), dont l’objectif est de permettre la production en série des vêtements. « Peu de maisons de couture, surtout dans le prêt-à-porter, ont encore un atelier de prototypage, note Marie-Reine. C’est une spécificité chez agnès b. » En réalité, plus qu’un simple atelier, il s’agit d’un véritable bureau d’études, qui intervient dans plusieurs étapes de la création des vêtements de la maison.
Les navettes des prototypes
Première étape : l’élaboration des prototypes des vêtements par l’équipe Création de l’atelier, gérée par Marie-Reine, à partir des croquis d’Agnès. Depuis la naissance de la maison, Agnès en est l’unique styliste et en dessine tous les vêtements. Corinne, la modéliste manuelle, interprète ses croquis en volume, en créant le vêtement correspondant sur un mannequin. Ce premier jet est présenté à Agnès, qui peut le faire retravailler plusieurs fois avant de valider le modèle. L’équipe se préoccupe aussi du tissu qui sera utilisé pour créer le vêtement. agnès b. aime utiliser des tissus dont elle crée elle-même les imprimés, notamment à partir des photos qu’elle prend, dans son jardin, dans la rue ou au cours de ses voyages. « Nous faisons alors imprimer le tissu spécialement pour nous », explique Marie-Reine. Dans la collection été 2021, par exemple, une robe et un bustier reprenaient une photo d’un jardin en noir et blanc, réalisée par Agnès, et l’atelier a dû s'affairer pour s'assurer qu’ils « tombent » bien sur le vêtement une fois les pièces assemblées.
À la suite de ce travail, des prototypes sont réalisés avec le tissu choisi, soit par un façonnier, soit par les couturières de l’atelier – qu’on appelle aussi « mécaniciennes », parce qu’elles travaillent sur des machines à coudre. « Nous discutons beaucoup avec la modéliste manuelle pour trouver comment monter le vêtement techniquement, nous faisons des suggestions d’amélioration, explique Georgette, couturière pour agnès b. depuis 30 ans. C’est un travail subtil. La maison agnès b. est très exigeante sur la qualité. ». « Cela demande beaucoup de précision et de patience, ajoute Christine, couturière arrivée chez agnès b. en 2014. Mais nous côtoyons des gens motivants, qui apprécient le travail bien fait. C’est valorisant pour nous ! »
Préparer les vêtements à la vraie vie
Suite au défilé ou à la présentation (ces dernières saisons, agnès b. a privilégié des formats vidéos, comme celui-ci), les commerciaux de la maison sélectionnent les modèles qu’ils proposent aux différentes boutiques agnès b., aux quatre coins du monde. Puis les responsables de boutique font leurs commandes de modèles et de tailles souhaitées, en tenant compte des spécificités de leur clientèle. Une fois la liste connue, les modèles peuvent encore être retravaillés par l’équipe de Marie-Reine, qui les adapte à la morphologie des gens de tous les jours, alors que les prototypes ont été conçus pour des mannequins, aux gabarits particuliers.
Puis c’est l’autre équipe de l’atelier, celle chargée de l’Industrialisation, qui entre en scène, sous l’égide de Masayo, entrée chez agnès b. à la fin des années 1980. Les modélistes CAO de l’atelier sont d’abord chargés de numériser les patrons des modèles, préparés par l’équipe Création. Ils interprètent ensuite ces patrons sur ordinateur pour les décliner en plusieurs tailles, du 34 au 44, calculent la quantité de tissus et d’accessoires nécessaire pour fabriquer les vêtements, élaborent les croquis techniques, précisent sur une fiche technique le couturage, les doublures ou encore les choix de boutons. L’équipe CAO veille également à optimiser la matière utile et à ne pas gâcher le tissu, ce qui est un souci constant de la maison. En cas de chutes de tissu, celles-ci sont récupérées pour une autre utilisation.
Les modélistes CAO entrent ensuite en relation directe avec les façonniers. À partir de la fiche technique, ces derniers fabriquent un premier modèle que l'atelier étudie sous toutes les coutures. Une fois les remarques transmises, le façonnier fabrique une nouvelle mouture du modèle à partir de ces observations. « Et ainsi de suite jusqu’à ce que nous obtenions la fabrication parfaite » sourit Linah, modéliste CAO. « Il arrive même nous devions fabriquer des maquettes pour aider le façonnier », ajoute Zakia, également modéliste CAO, chargée de la ligne enfant d’agnès b. et de sa ligne cuir. Une fois tous les problèmes résolus, le vêtement pourra être fabriqué en série, dans les quantités commandées par les boutiques.
Agnès peut intervenir dans toutes les étapes de la chaîne. « Elle a un grand respect pour notre travail, observe Masayo, la responsable de l’équipe Industrialisation. Elle écoute tous les commentaires qu’on peut lui faire. Cela est rare dans la mode. » « Les salariés sont fiers de travailler pour agnès b., estiment Marie-Reine et Masayo. D’abord parce que c’est une entreprise familiale, qui appartient toujours à Agnès et ses enfants. Mais aussi parce qu’Agnès se soucie de nous, et nous nous soucions d’elle. » Pour les deux cheffes d’atelier, « c’est en grande partie pour cela que les équipes sont aussi fidèles et dévouées à la maison. » C’est sans doute aussi l’une des clés du succès de la maison agnès b. depuis près de 50 ans.